samedi 25 mars 2017



Conflits sanglants en Syrie et au Darfour, catastrophes naturelles de Katrina ou de Fukushima, réfugiés et déplacés risquant leur vie pour fuir la guerre et vivant dans des camps… Depuis plus de quatre décennies, les ONG humanitaires occidentales sont présentes, malgré une insécurité croissante, auprès des populations civiles victimes de ces nombreuses crises. Ces ONG fonctionnent pourtant selon un modèle dominant qui, progressivement, est devenu un véritable empire. Cet « empire humanitaire » occidental a façonné le cadre moral et opérationnel de l’humanitaire moderne, avec des normes globalisantes, favorisées par les flux de la mondialisation. Le temps de cette domination absolue semble révolu, comme le suggère l’analyse des prémices, catalyseurs et acteurs de ce déclin.  Peut-on interpeller les effets néfastes et les dommages collatéraux de cette mondialisation, tout en reconnaissant que les ONG humanitaires en sont désormais un des rouages ? Cet ouvrage construit un cadre épistémologique original, celui d’un « aller-retour » entre des logiques théoriques et normatives, et des expériences vécues, toujours plus complexes et contradictoires. Dans une volonté de décloisonnement interdisciplinaire, la philosophie, la science politique, la sociologie, l’histoire, l’économie, et la santé publique, sont mobilisées comme clés de lecture pour une compréhension systémique des enjeux et de leur articulation. Comment les ONG humanitaires occidentales réagissent elles aujourd’hui face à un empire normatif et opérationnel en déclin ? Sauront-elles, à l’aide d’un humanitaire complexe, réinventer leurs stratégies et leurs pratiques, tout comme effectuer un nécessaire travail de re-connaissance? Conjuguer pragmatisme et utopie avec agilité, tel est le défi de l’humanitaire occidental désormais confronté à l’épreuve de la mondialisation.

Date de parution : le 4 avril 2017


Bibliothèque Nationale de France
Prix de vente au public (TTC) : 22 €
216 pages; 21,5 x 13,5 cm

Présentation de l'auteur

Jérôme Larché
Médecin interniste-réanimateur, enseignant en science politique et Chercheur associé à la Faculté de Droit et de Science Politique de Montpellier (CEPEL). Son engagement associatif avec Médecins du Monde a nourri son expérience des terrains de conflits et de catastrophes naturelles. Auteur de nombreux articles sur les enjeux humanitaires et de sécurité dans les conflits armés, sur la corruption, et sur les violences faites aux femmes, il a également participé à la rédaction d’ouvrages collectifs : Persécutions des femmes (Editions du Croquant, 2007), La captivité de guerre au XXème siècle (Editions Armand Colin, 2012), et Nouvelles d’humanitaires (Editions Les Malins, 2016). Il est aujourd’hui Chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique et à l’Observatoire Canadien sur les Crises et l'Aide Humanitaire (OCCAH).
Pour quelles raisons avez-vous écrit ce livre ?

Ce livre répond à une nécessité qui s’est imposée à moi, celle de transcrire à la fois le vécu d’expériences de terrains humanitaires - au Soudan, en Afghanistan et dans bien d’autres lieux - mais aussi de les confronter à d’autres réalités – politiques, économiques, sanitaires, historiques et philosophiques - , pour montrer la complexité du monde environnant et les difficultés, comme les paradoxes, des pratiques humanitaires contemporaines. Bien que les moyens humains, opérationnels et financiers déployés à travers le monde et ses « théâtres » n’aient jamais été aussi imposants, le sens et la lisibilité des actions de solidarité de l’empire humanitaire occidental ne se sont pas renforcés. Au contraire, l’environnement dans lequel évoluent désormais les acteurs humanitaires (ce que certains appellent à tort, l’espace humanitaire) s’est profondément modifié, devenant de plus en plus liquide et protéiforme. Le phénomène mondial de globalisation, qu’il soit géopolitique, financier ou sociétal, a atténué ce qui faisait figure autrefois de frontières. En ce sens, les humanitaires « sans frontières » sont devenus aussi des objets de la mondialisation. 
Pourquoi avoir choisi d‘écrire un essai pour traiter ce sujet ?

Cet ouvrage veut aller au-delà du simple témoignage. La diversité de mon parcours m’a amené à de nombreuses réflexions que j’ai choisi de partager, avec une mise en perspective entre les pratiques de l’empire humanitaire occidental contemporain et celles plus vaste d’un monde néolibéral globalisé, faisant émerger de nouveaux paradoxes et contradictions qui ne sont pas toujours au bénéfice des populations défavorisées. Imaginer le futur, et notamment celui d’un humanitaire complexe, n’est envisageable qu’en ayant compris le passé et analysé le présent. Cet essai pourrait modestement y contribuer en ouvrant le champ des possibles.
A quel public s'adresse-t-il ?

Cet essai s’adresse à un public très varié. Qu’ils s’agissent d’étudiants ou d’universitaires, de journalistes, de citoyens intéressés par les questions de solidarité, voire même d’acteurs politiques souhaitant des éclairages inhabituels (ou souhaitant se remettre en question…), chacun pourra trouver ce qu’il souhaite dans ce livre. En effet, bien que porté par une cohérence globale, il est construit comme une série de chapitres pouvant se lire de façon indépendante. 

Ouvrages collectifs



Préface de Michel Terestchenko

Professeur agrégé de philosophie et Maître de conférences de philosophie à l’Université de Reims et à l’Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, spécialiste de philosophie morale et politique, qui a notamment publié : Un si fragile vernis d’humanité : banalité du mal, banalité du bien 2005, Du bon usage de la torture, ou comment les démocraties justifient 2008, L'ère des ténèbres 2015.

Blog de Michel Terestchenko : http://michel-terestchenko.blogspot.fr/

Le récit bouleversant publié par Jérôme Larché de sa rencontre, en 2011, avec les toxicomanes de Kaboul, la description de leurs effroyables conditions de vie dans les égouts et les souterrains de la ville, annonçaient ce qu'on pouvait attendre d'humanité chez un médecin qui n'hésitait pas à se rendre, avec son équipe, dans les lieux les plus déshérités de la terre et à apporter soin et aide à ceux que plus personne ne distinguait des déchets et des immondices au milieu desquelles ils survivaient. Ces damnés n'avaient rien de l'attrait qui attire le regard des médias vers les victimes des guerres et des catastrophes naturelles, lorsque leur détresse est assez spectaculaire pour être montrée et faire un « sujet », comme on dit. Mais au-delà de la bienveillance de l'homme et de la compétence du praticien se voyait déjà tout le jeu agile dont l'humanitaire doit faire preuve en des circonstances qui sont toujours particulières : avec la police qu'il faut «intéresser » à la présence de médecins pour que cesse la brutalité, le racket, l'exploitation ; avec les personnes elles-mêmes, dégradées, perdues dans leur errance fantomatique, mais toujours pleinement humaines ; avec la nature même du soin qui commencera, en l'occurrence, par la distribution de seringues stérilisées – c'est à chaque fois, une difficile négociation avec le réel qui est exigée où les principes de la morale ont peu de part et l'intelligence de la situation beaucoup.

De ces années de pratique en Afghanistan et sur de multiples théâtres d'opération, Jérôme Larché n'a pas tiré la tranquille leçon qu'il serait temps pour lui de cultiver son jardin et de laisser les hommes à leur incurable capacité de se faire souffrir. Ce qu'il a vécu, il faut encore qu'il le pense, qu'il tire de ce matériau personnel une réflexion théorique plus générale et plus vaste. Ce qu'il nous livre aujourd'hui, c'est le résultat d'un travail intellectuel, mené de longue haleine, où les disciplines se croisent – l'histoire, la sociologie, la science politique, la philosophie, mais aussi l'économie et la santé publique - puisque aucune ne suffit à dire la complexité de pratiques aux prises avec des résistances et des obstacles qu'il faudra toujours vaincre, mais que la meilleure stratégie ne parviendra pas toujours à surmonter, ou alors au prix de compromis, sinon de concessions, qui vous font perdre votre innocence.

Le regard critique que l'auteur porte sur la réalité in concreto de l'assistance humanitaire et les multiples pièges qui la guettent est sans concession. Là réside son plus grand mérite. Voici, tout d'abord, ces oppositions qui viennent de l'extérieur – les multiples formes de récupération politique ou encore la  nécessité de composer avec toutes sortes d'acteurs, étatiques ou non, peu intéressés, voire hostiles à cette cause – mais aussi les contradictions qu'elle génère en son sein – ne participe-t-elle pas, à sa manière, au grand processus libéral de la mondialisation plutôt que de le remettre en cause, lui apportant simplement une sorte de correction à la marge ?

La documentation très riche et précise nourrit des analyses lucides, dont l'honnêteté pourrait avoir quelque chose de désabusé, mais qui ne l'est jamais. Certes, nous parcourons avec l'auteur la scène dévastée du monde où le mal est plus souvent le fait de l'homme que de la nature. Mais de ces souffrances, de ces misères que les organisations humanitaires s'efforcent de prendre en charge et de soulager, non sans ambiguïtés, il s'agit, en somme, de ne jamais s'accommoder. Aussi est-ce, au bout du compte, un message d'espérance que Jérôme Larché nous délivre. Et cette leçon est d'autant plus encourageante qu'elle ne s'épargne rien de ce qui jour après jour, avec une sorte de répétition lancinante, vient contrarier la mise en œuvre d'une éthique universelle du soin. Ce livre, oui, est un bel exercice de courage.